14/01/2016

Le Mythe de Création


Je me rappelle des géants de ces temps primordiaux,
eux qui m'ont donné naissance autrefois.
Neuf mondes je peux compter,  les neuf énormes étendues,
dans le Glorieux Arbre du Monde, encore profondément sous terre.
Völuspa strophe 2

C’était au premier âge où Ymir était établi là,
il n’y avait rien, ni sable, ni mer, ni froides vagues ;
la terre n’existait pas, ni les hauteurs du ciel,
béant était le vide et d’herbe nulle part.
Völuspa strophe 3


Ginnungagap (le Vide)

Dans son ouvrage, le Grand Dessein parut en 2010, Stephen Hawking, précise  que "L'Univers a la capacité de se créer à partir de rien. La création spontanée est  la raison pour laquelle il y a quelque chose plutôt que rien, et pour laquelle  l'Univers existe. […] Il n'est pas nécessaire d'invoquer Dieu pour allumer le courant  ni pour agencer l'Univers." Ce scientifique qui se penche depuis de nombreuses  années sur l'origine de l'univers en a surtout conclut qu'il n'était pas utile de songer  "qu'un créateur bien intentionné ait façonné l'univers pour notre seul bénéfice".  C'est la même analyse qui ressort des principaux textes fondateurs chez les  peuples germains et scandinaves puisque les puissances créatrices ne sont pas  les puissances organisatrices, et que ces dernières servent avant tout leurs  propres intérêts.

L'explication de la naissance et de l'agencement du monde dans la mythologie  nordique (principalement dans la Völuspa et la Gylfaginning, mais aussi dans le Vafthrudhnismàl) ressemble à de nombreux autres mythes créateurs, mais malgré toute la simplicité qu'elle comporte, l'idée d'un univers infini et du big bang se retranscrit dans le concept du gouffre insondable, demeure de la contraction et du  magnétisme, la force de l'antimatière, Ginnungagap (Vide Béant ou Vide  Fascinant, ou l'Espace Primitif Empli de Puissance Créatrice), qui perdure ou disparaît une fois sa fonction créatrice achevée, cela dépend des textes. Pour les  nordiques, en tout cas, cette immensité est l'espace où s'exercent les forces  magiques et la source de tout. Car de ce vide néanmoins fertile, deux mondes  antagonistes naquirent, chacun dans une direction opposée.


Niflheim (la glace) et Muspellsheim (le feu)

Au nord, Niflheim, le monde de la brume et des glaces qui génère la source  Hvergelmir (Chaudron qui gronde), d'où jaillissent 12 rivières, les Élivágar (Flots Tumultueux ou Vagues de glace), ces rivières méphitiques, des fleuves  primordiaux, empoisonnés et tumultueux gelèrent en tombant dans Ginnungagap,  formant ainsi de gigantesques blocs de glaces.
Et au sud Muspellsheim, le monde du feu et de la chaleur. Les étincelles du  brasier de ce monde ardent vont faire fondre les rivières glacées dans  Ginnungagap. La fonte de ces masses de glaces va donner l'eau et la vapeur  (l'air) de la vie ; et de ces deux élément sortiront deux êtres qui symbolisent eux- mêmes un nouvel élément, la terre. L'alchimie fertilisante du trou noir  Ginnungagap et la rencontre de toutes ces forces primordiales aboutit donc à  l'apparition des 5 éléments : la glace, le feu, l'eau, l'air et la terre.


Ymir (le géant primordial) et Auðumla (la vache nourricière)

C'est ainsi qu'Ymir (le Rugissant), le géant primordial et androgyne fut créé, par la  rencontre entre la chaleur incandescente de Muspelheim et le froid glacial et  venimeux de Niflheim. Il est le premier géant du givre dont descendent les jotüns.  La naissance d'Ymir évoque la conception des forces redoutables de la nature  liées à la période hivernale : le froid, le vent, la tempête, le gel, la neige. Et puisqu'il  correspond en tant que géant, aux forces et aux énergies les plus primitives, il  s'incarne aussi dans le feu, les volcans, et donc en Surtr (le Noir), le premier géant  du feu qui incendiera le monde lors du Ragnarök. Les géants ne sont pas des  aspects négatifs ou maléfiques, mais des éléments naturels (la glace et le feu),  antagonistes et autant destructeurs que créateurs. Et rien ne les empêchera de  perdurer. Avant la venue des Ases, et suite à une période de plusieurs hivers, les  premiers géants apparurent. Ils sont nés de la transpiration d'Ymir pendant le  sommeil de celui-ci. Un homme et une femme sortirent sous son bras, et un géant  à six têtes de sous son pieds, Þrudgelmir (Puissance qui Tonne).
« Alors qu’il dormait, il entra en transpiration, et alors crûrent sous son bras  gauche un homme et une femme, […] et de là provinrent les races. »  (Gylfaginning, chap. 5).

Auðumla (Nouricière ou Richesse de la Vache sans corne ou la vache sans corne  qui est riche (en lait)), la vache originelle, la force créatrice du cosmos créée à  partir de la vapeur également générée par la rencontre entre la chaleur de  Muspelheim et le froid glacial de Niflheim. En trois jours, elle engendre l'ancêtre  des ases, Búri, en léchant, pour se nourrir, une pierre de givre salée de  Ginnungagap. Et puisqu'elle est nourricière, elle abreuve le géant Ymir de quatre  fleuves de lait coulant de son pis (qui symbolisent la voie lactée), et sans doute  aussi sa descendance.

« Elle léchait les pierres couvertes de givre, qui étaient salées, et le premier jour  qu’elle les lécha, sortit de la pierre, vers le soir, la chevelure d’un homme, et le  lendemain, une tête d’homme ; le troisième jour, l’homme était sorti tout entier. Il  s’appelait Búri » (Gylfaginning, chap. 5).


La naissance des ases et la mort d'Ymir

Búri (Celui Qui Engendre ou Père) fut donc l'ancêtre des ases et le père de Borr  ou Burr (Celui Qui est Engendré ou Fils), qui épousa Bestla (Epouse), fille du  géant BölÞorn (Epine de Malheur) et soeur de Mimir (Mémoire). Borr et Bestla  eurent trois fils : Óðinn (Fureur), Vili (Volonté) et Vé (Enclos Sacré), les premiers  ases. Vili est aussi appelé Hoenir (le Fort ou Celui Qui Aide), et Vé, Lodur  (Croissance, Fructueux, Fertile).

Après la naissance de ces trois enfants, on assiste à la destruction du monde  primitif, comme avec les Titans en Grèce, anéantis par les nouveaux dieux Zeus,  Poseidon, et Hades,. En effet, Óðinn, Vili et Vé, de peur d'être écrasés par les  géants qui se multipliaient, tuèrent Ymir, et son sang noya tous ses descendants,  les géants du givre, à l’exception de son petit-fils Bergelmir (Montagne Qui Tonne)  - fils de Þrudgelmir - et de sa femme qui parviennent à s'échapper dans un tronc  creux (qui deviendra plus tard leur cercueil), et maintiendront ainsi la lignée des  géants, en se réfugiant à Jötunheim. Ce qui implique que malgré l'intervention des  ases, les géants demeurent des éléments essentiels dans le fonctionnement des  mondes. Ces êtres archaïques, originels, qui remontent au chaos premier,  demeurent pourtant nombreux, possédant une force colossale et détenteurs de la  connaissance et de la magie ancestrales, symbolisent les forces vitales  primordiales.


La création du monde

Mais le meurtre d'Ymir est cependant créateur. Avec sa chair placée au centre du  Ginnungagap, les ases formèrent la terre avec son corps, puis les montagnes et  les rochers avec ses os, les pierres avec ses dents et la mer avec son sang et  avec ses cheveux les forêts. Ils prirent aussi son crâne et en firent la voûte céleste,  supportée en quatre points cardinaux par des nains. Avec ses cils, ils créent la  forteresse qui sera la barrière avec le monde des géants, Midgarð. Du corps  d'Ymir surgit également l'arbre primordial, le frêne Yggdrasil (Destrier du  Redoutable) s'érigeant pour soutenir les neuf Mondes (Asgarð : Ásanheim,  Álfheim et Vanaheim, Midgarð : Mannheim, Svartalfheim, Muspellheim, Utgarð :  Jötunheim, Niflheim, Helheim).

Voici la construction du monde selon la Gylfaginning :
Ils prirent Ymir et le placèrent au milieu de Ginnungagap et firent de lui la terre, de  son sang, la mer et les lacs ; la terre fut faite de sa chair, les montagnes de ses os,  les amas de pierres et les cailloux, de ses dents et des condyles qui s’étaient  brisés. […] Du sang qui coulait de sa blessure et ruisselait librement, ils firent la  mer quand il formèrent la terre, et placèrent cette mer en rond tout autour de la  terre. […] Ils prirent aussi son crâne et en firent le ciel, le posèrent au dessus de la  terre, sur quatre coins, et sous chaque coin, ils placèrent un nain : ceux-ci  s’appelaient Est (Austri), Ouest (Vestri), Nord (Norðri), Sud (Suðri). Ensuite ils  prirent les étincelles et les scories qui passaient alentour et avaient été projetées  hors de Muspelhiem, et les jetèrent au milieu de Ginnungagap dans le ciel à la fois  vers le haut et vers le bas pour éclairer le ciel et la terre. […] Il est dit dans les  anciens poèmes de sagesse que c’est depuis ce temps-là qu’on distingue le jour  de la nuit et qu’on compte le temps par années. […] La terre est toute ronde et à  l’extérieur se trouve la profonde mer, et le long du rivage de cette mer, ils  donnèrent aux races des géants de la terre à bâtir ; mais plus loin vers l’intérieur  de la terre, ils bâtirent une forteresse autour de leur domaine pour se défendre  des géants. Pour cette forteresse, ils employèrent les cils d’Ymir, et ils appelèrent  la forteresse Midgarð. Ils prirent aussi sa cervelle et la jetèrent en l’air et ils en  firent les nuages.


Les premiers nains

Du cadavre d'Ymir sortirent des larves qui vécurent sous la terre et auxquels les  dieux donnèrent apparences humaines et intelligence, ce furent les nains qui  vivent depuis sous terre et dans les pierres. "Ce fut Móðsognir (Fatigué ou Voleur  d'énergie) le plus puissant de tous les Nains, et Durin (Somnolant ou Gardien de l'Entrée) après lui ; les nains  ont fait comme Durinn l'indiqua, de terre, un grand nombre de formes humaines.".  Völuspa 10.


Les premiers humains et leurs contreparties obscures

Jusqu’à ce que trois quittent leur famille,
puissants et bienveillants ases vers leur demeure.
Ils ont trouvé Frêne et Orme sur terre,
sans forces, et sans örlög (destin).
Voluspa 17.

Ils n'avaient ni souffle, ni sens, ni sang,
Ni son, ni couleur de vie :
Óðinn leur donna le souffle, Hoenir les sens,
Lodur donna sang et couleur de vie.
Voluspa 18.

Enfin, avec des arbres, les trois ases façonnèrent également les premiers êtres  humains, un homme, Askr (le frêne) et une femme, Embla (l’orme). Et l'on constate  que chacun d'entre-eux joue un rôle important dans leur création comme  l'explique aussi la Gylfaginning : “Quand les fils de Borr allèrent le long du rivage  de la mer, ils trouvèrent deux souches d’arbres et les prirent et en façonnèrent des  êtres humains ; le premier (Oðinn) donna souffle et vie (ou önd), le second (Vili),  conscience (l’oðr) et mouvement, le troisième (Vé ) apparence (ásjóna), parole  (mál), ouïe (heyrn)  et vue (sjón). Ils leur donnèrent des habits et un nom : l’homme  fut appelé Askr et la femme Embla. Et par eux fut engendrée la race des hommes  qui put vivre et habiter dans Midgarð.”

Ainsi les humains vont peupler Mannheim (monde des hommes) qui se situe au  centre de l'arbre Yggdrasil. Les dieux choisirent alors leur propre lieu de  villégiature, Asanheim, et plus particulièrement la plaine d'Iðavöll, où ils bâtirent  douze halles et fabriquèrent des outils pour créer les tablettes d'or, entrant ainsi  dans l'Age d'Or, que l'on retrouve également dans les éons d'autres philosophies.  Cet Age d'Or s'achève avec la venue de trois géantes, les Nornes qui s'installent  au pieds de la racine d'Yggdrasil située à Ásgarð. Et aussi avec la naissance de  Fenrir, Jörmungandr et Hel, la progéniture de Loki, dont l'aspect destructeur  demeure pourtant un garant de l'équilibre du monde, et surtout est inscrit dans le  wyrd. Ainsi Fenrir engendre avec la géante Járnviða, les Managarm, (Les Chiens  de Lune) qui constituent une trinité obscure dans le ciel et le monde souterrain. On  retrouve Garm, le gardien de Helheim, et Skoll et Hati qui poursuivent Sol et Mani  dans les cieux pour les dévorer et replonger le monde dans les ténèbres  originelles. 


Le Ciel, les astres et le temps

Après avoir créés les nains, Óðinn, Vili et Vé placèrent quatre d'entre-eux à  chaque direction pour soutenir la voute céleste, faite de la tête du géant Ymir, afin  qu'elle ne puisse tomber.  Le ciel est aussi appelé "Fardeau d'Austri", "Fardeau  des parents de Nordri" ou " casque de Vestri et Austri, Sudri et Nordri". Parmi les  nains certains jouent également un rôle dans la course du temps comme Nýi  (Nouvelle Lune) et Niði (lune décroissante ou nuit sans lune).

Austri - (Est) est le nain "oriental", situé à l'est du Monde.
Nordri - (Nord) est le nain "septentrional", situé au nord du Monde.
Sudri - (Sud) est le nain "méridional", situé au sud du Monde.
Vestri - (Ouest) est le nain "occidental", situé à l'ouest du Monde.

Pour éclairer le ciel, les ases prirent des étincelles de Muspelheim et en firent les  étoiles, et comme il n'y avait ni jour ni nuit, ils envoyèrent parcourir le ciel à la  géante Nótt (Nuit) et à Dag (Jour) le fils qu'elle eut avec l'ase Delling (Saut du Jour  ou Aube). Nótt est la fille du géant Norfi ou Nór (Etroit), le fils du géant de l'hiver,  Þorri. Le cheval qui tire le char de Nótt se nomme Hrimfaxi (Crinière de Givre) et  l'écume qui s'écoule de sa bouche donne la rosée matinale. Le cheval qui tire le  char de Dag se nomme Skinfaxi (Crinière de Lumière) ou Glaðr (Brillant), et le ciel,  la terre et la mer sont illuminés par sa crinière.

« Il y avait un géant qui s’appelait Norfi, qui habitait à Jötunheim. Il eut une fille qui  s’appela Nótt ; elle était noire et sombre, selon ses antécédents. […] Delling  l’épousa, il était de la race des Ases ; leur fils fut Dag. Il était clair et beau, selon  ses antécédents paternels. Ensuite Alfadr (le père suprême, Odin) prit Nótt et son  fils Dag, leur donna deux chevaux et deux chariots, et les envoya dans le ciel pour  qu’ils en fassent le tour chaque jour. »
(Gylfaginning, chap. 10)

Ils sont obligés de parcourir avec
rapidité le ciel en un jour, afin de compter les années
des fils des hommes.
Vafthrudhnismàl 23

Ensuite les ases envoient les enfants d'un homme et d'une femme de Manaheim,  Mundilfari (Conducteur du Temps) et Glaur, pour accompagner Nótt et Dag. C'est  parce que ces deux enfants étaient si beaux que les ases s'en offusquèrent et  décidèrent de les placer dans les cieux pour accompagner le jour et la nuit dans  leur course céleste.

Depuis, Mani, dirige La Lune (que les Ases nomment Flamme, les Géants, La  Mouvante, et les habitants de Hel Roue Tourbillonnante, les Nains, La Brillante et les Alfes Conteuse du Temps), son mouvement, ses phases, et il a enlevé les  deux enfants de Viðfinnr (Sorciers des Bois), Bil (Paralysie de l'Energie) et Hjuke  (Amélioration ou Santé), qui personnifient les phases décroissante et  croissante de la lunaison pour l'aider dans sa tâche. Mani est poursuivi par le loup  Hati. Les éclipses de lune surviennent lorsque Hati se rapproche trop de Mani.

Sol ou Sunna, femme de Glenr (Le Scintillant ou Ouverture Dans les Nuages), mène le char du Soleil (que les Géants nomment Toujours Brillant, les Nains Celui Qui Trompe Dvalin et les Alfes Belle Roue), tiré par deux chevaux, Arvaki ou  Arvakr (Tôt Levé) et Alsvinn ou Alsvidr (Très Rapide), sur l'encolure desquels sont  disposés d'énormes soufflets nommés Isarnkol (Le Froid de Fer ou le Vent Froid  Comme le Fer). Devant le soleil est placé le bouclier Svalin (Glacial) qui l'empêche  de brûler la terre. Sol est poursuivie par le loup Skoll. Celui-ci la dévorera et la fille  de Sol la remplacera après le Ragnarök. Les éclipses de soleil surviennent  lorsque Skoll se rapproche trop de Sol.

Mais le bon fonctionnement de l'univers mis en place par les ases repose en fait  sur le frêne Yggdrasil qui garantit l'équilibre entre les neuf mondes malgré leurs  oppositions et antagonismes.